Palerme, carrefour de civilisations, abrite un joyau architectural unique en Europe : le style arabo-normand. Fruit d’un brassage culturel entre les influences arabes, byzantines et normandes, cet art éclot particulièrement au XIIe siècle sous le règne des rois normands. Parmi les trésors les plus fascinants de cette époque, l’église de la Martorana et l’église Saint-Cataldo témoignent du riche métissage artistique qui a marqué la Sicile. L’église de la Martorana, avec ses mosaïques éclatantes et son architecture byzantine, se distingue par son raffinement, tandis que l’église Saint-Cataldo, avec ses coupoles rouges et son austérité, incarne une fusion unique entre les styles arabes et normands. Ces deux monuments voisins offrent une plongée dans l’histoire d’une Sicile cosmopolite et révèlent le génie de la rencontre entre Orient et Occident
L’église de la Martorana localisée à Palerme
L’église de la Martorana, aussi connue sous le nom de Santa Maria dell’Ammiraglio (Sainte-Marie-de-l’Amiral), se situe à Palerme, sur la place Bellini. Il s’agit d’une église à plan en croix grecque, qui a subi d’importantes modifications aux XIIIe et XIVe siècles. Les offices catholiques y sont célébrés selon le rite byzantin. Ses éléments les plus anciens illustrent l’architecture byzanto-normande, caractéristique de la Sicile à cette époque.
Histoire et Fondation de l’église de la Martorana
Une inscription en arabe et en grec, datée de 1143, atteste la fondation de l’église en 1143 par Georges d’Antioche, un amiral d’origine grecque orthodoxe, au service du roi normand Roger II. Cet édifice est dédié à la Vierge Marie, d’où son nom « Santa Maria dell’Ammiraglio », et comporte un riche programme iconographique, notamment des mosaïques.
Architecture primitive de l’église de la Martorana de Palerme
Le plan initial de l’église était celui d’une croix grecque, suivant la tradition byzantine, avec une coupole centrale supportée par quatre colonnes, ornée de mosaïques dorées. À l’est, se trouvent trois absides semi-circulaires, la plus grande étant celle du sanctuaire. L’entrée originale, située à l’ouest, comportait probablement trois portes, mais seul le portail central subsiste aujourd’hui, donnant accès à un narthex et à une cour intérieure.
L’église possède des murs extérieurs aux niches peu profondes et des fenêtres entourées d’arcs concentriques, rappelant l’influence islamique. L’accès se fait par un campanile de style normand, dont le dôme, détruit en 1726, n’a jamais été reconstruit. Ce clocher à trois niveaux présente des arcades au rez-de-chaussée et des fenêtres jumelées aux étages supérieurs, avec des tourelles d’angle ornées de colonnes.
Témoignages historiques
Le voyageur Ibn Djubayr, en 1184, décrit la Martorana comme l’un des édifices les plus extraordinaires qu’il ait vus, en raison de ses murs recouverts d’or et de marbre, de ses mosaïques et de ses vitraux étincelants. Il note également le clocher, appelé « Clocher des colonnes », comme une merveille architecturale.
En 1193, les bâtiments voisins furent affectés à un couvent dédié à Saint Basile. En 1394, celui-ci fut transféré aux bénédictins de la couronne normande et devint le couvent de la Martorana, soit en référence à son fondateur (Goffridus de Marturana ou Eloisa della Martorana selon les récits), soit aux propriétaires du terrain. Entre 1433 et 1434, l’église fut incorporée au complexe monastique et adopta également le nom de Martorana.
Transformations ultérieures
Au XVIe siècle, des travaux importants modifièrent l’église. La partie ouest fut démolie, et de nouveaux ajouts doublèrent la longueur de l’édifice. Entre 1683 et le XVIIIe siècle, des éléments baroques enrichirent la décoration. Une chapelle dédiée à sainte Bénédicte et une sacristie furent ajoutées à l’est. En 1683-1687, l’abside centrale fut remplacée par une structure rectangulaire, suivant un projet de Paolo Amato. En 1740, Nicolò Palma proposa une nouvelle façade de style baroque, et le clocher fut rattaché à l’église. En 1846, le niveau de la place fut abaissé et un escalier fut construit.
Dans les années 1870, Giuseppe Patricolo restaura l’église dans l’idée de lui rendre son aspect du XIIe siècle, en retirant les marbres du XVIIIe siècle et en rétablissant certains éléments d’origine. Sa méthode de restauration suscita des critiques par la suite.
Décor artistique
Les deux premières travées, rénovées au XVIIe siècle, sont ornées de fresques d’artistes comme Olivio Sozzi et Guglielmo Borremans, datant des XVIIe et XVIIIe siècles. À partir des années 1720, des marbres et fresques d’inspiration baroque enrichissent cette partie de l’église. Cependant, sur le mur de l’ancienne façade, deux mosaïques byzantines représentent Roger II et Georges d’Antioche, rappelant l’importance de ces personnages dans l’histoire de l’église.
Troisième travée
La troisième travée révèle l’église byzanto-normande d’origine. Le contraste entre les styles baroque et byzantin apporte une originalité à l’ensemble. La luminosité de cette partie met en valeur les mosaïques couvrant les murs et la coupole, parmi les plus anciennes de Sicile. Celles-ci, probablement réalisées peu après la consécration en 1143, montrent des scènes comme la Dormition de la Vierge et la Nativité.
La coupole
La coupole, de conception typiquement byzantine, est ornée de mosaïques représentant le Christ Pantocrator entouré d’archanges et de prophètes. Des évangélistes sont également représentés dans des niches. À la base de la coupole, une inscription en arabe, en hommage à George d’Antioche, traduit un hymne byzantin. Les voûtes adjacentes illustrent des apôtres et d’autres scènes bibliques.
Absides et travées
Dans les bas-côtés, les apôtres sont représentés en mosaïques, accompagnés de motifs végétaux et d’un ciel étoilé. La quatrième travée, qui sépare le transept du chœur, est décorée de fresques représentant des archanges. L’abside principale, reconstruite au XVIIe siècle, est d’un style baroque triomphant, ornée de marqueteries en marbre et d’une coupole. Les clôtures en porphyre et mosaïque, bien qu’inspirées du style byzantin, datent des restaurations du XIXe siècle.
Curiosité
Les célèbres gâteaux de massepain, appelés « frutta di Martorana », tirent leur nom du monastère, car les sœurs de la Martorana les confectionnaient et les vendaient jusqu’au XIXe siècle.
l’église-Saint-Cataldo, l’édifice Arabo-Normand de Palerme
L’église Saint-Catalde (ou San Cataldo) est située sur la piazza Bellini, au cœur de Palerme, en Sicile. Elle est un remarquable exemple de l’architecture normanno-arabo-byzantine, caractéristique de la Sicile durant la période de domination normande. Cette église est liée à celle de Santa Maria dell’Ammiraglio.
Historique L’église fut fondée entre 1154 et 1160 par Maion de Bari, alors grand amiral du roi Guillaume Ier de Sicile. Par la suite, elle fut confiée aux Bénédictins de Monreale, qui en assurèrent la gestion jusqu’en 1787.
Au fil des siècles, l’église subit plusieurs transformations, dont une intégration à un édifice néoclassique conçu par l’architecte Alessandro Emmanuele Marvuglia. Elle servit de bureau de poste jusqu’en 1882, avant d’être restaurée par Giuseppe Patricolo, qui lui redonna son aspect médiéval. C’est lors de cette restauration que les trois petits dômes ont été colorés en rouge, devenant ainsi l’un des symboles de Palerme.
L’église adopte un plan basilical rectangulaire. À l’intérieur, on trouve trois nefs courtes, dont la principale est rythmée par trois dômes, séparées par des colonnes, avec deux allées. Les colonnes, ornées d’arcades de style byzantin, font face à des murs dépouillés.
Le sol, tout comme l’autel, est d’origine et présente un remarquable décor en mosaïque.
L’extérieur du bâtiment est revêtu de maçonnerie compacte en grès, adoucie par des arcs aveugles partiellement occupés par des fenêtres et des éléments ajourés. Les trois dômes rouges en forme de bulbe, typiques de l’édifice, et les merlons d’inspiration arabe forment un contraste saisissant avec la sobriété des murs.
Ce style de construction était courant dans les Pouilles, région dont les églises ont probablement servi de modèle pour Saint-Catalde. La partie supérieure de l’édifice est décorée d’une bande calligraphique en style coufique, caractéristique de l’architecture arabo-normande propre à la Sicile.
Le bâtiment est un exemple de syncrétisme architectural normand en Sicile, associant des influences normandes et islamiques. Il peut être comparé à des édifices comme l’abbaye aux Dames à Caen ou la cathédrale de Durham, tout en présentant des éléments spécifiques à l’architecture islamique, tels que les formes cubiques, les arcatures aveugles et les dômes rouges.
Située en plein cœur de Palerme, cette église rappelle donc les Pouilles, non seulement par son nom, inspiré de l’évêque de Tarente, mais aussi parce qu’elle aurait probablement fait partie du palais d’un personnage illustre du XIIe siècle, Maion de Bari, grand amiral. Son titre n’était pas lié à la mer, mais correspondait plutôt à celui de Chancelier du roi normand Guillaume Ier, dit « le Mauvais ». Après l’assassinat de Maion en 1160, l’église fut offerte par le roi à Sylvestre de Marsico, qui y enterra sa fille en 1161, avant d’être confiée au diocèse de Monreale.
Comme beaucoup de bâtiments anciens, cette église a traversé plusieurs épreuves au fil des siècles, tout en conservant son style arabo-normand d’origine. Saint Cataldo, avec sa structure cubique, est adoucie par des fenêtres en ogive et coiffée de trois coupoles rouges alignées, symbolisant la nef centrale, plus haute que les nefs latérales séparées par des colonnes et chapiteaux réemployés. L’intérieur est dépouillé, et ce minimalisme contraste avec le sol richement décoré de marbre polychrome dans un style cosmatesque, suggérant que la mort de Maion a interrompu les travaux. Néanmoins, cela n’ôte rien à l’attrait du lieu. La succession d’arches en ogive menant à l’autel, en marbre blanc orné d’une croix et des symboles des Évangélistes, dégage une ambiance empreinte de spiritualité. À l’intérieur se trouve encore la pierre tombale de Mathilde, fille du second propriétaire. À l’extérieur, outre les coupoles, une frise ajourée court partiellement le long du bâtiment, témoignant de l’influence arabe.
En 1937, l’église a été confiée aux Chevaliers du Saint-Sépulcre, qui l’ont soigneusement restaurée et en assurent aujourd’hui l’ouverture aux visiteurs. En sortant, l’église voisine de la Martorana, construite à la même époque, offre un contraste saisissant : alors que Saint Cataldo conserve son caractère dépouillé, la Martorana a vu ses éléments originaux recouverts par une décoration baroque riche. Placées côte à côte, elles illustrent deux visions distinctes de la maison de Dieu.